« Ils sont là ! Le Royaume des Cinq Joyaux est là ! » Cette phrase avait retentit à ses oreilles comme le croassement d’un corbeau, toute aussi désagréable à entendre et profondément mauvais signe. Pourquoi ne l’avait-on pas prévenue ? Les vampires disposent pourtant d’un système de communication magique très perfectionné ! Ils auraient du l’avertir, bon sang ! Elle se serait préparé à leur arrivée, car elle connaissait la raison de leur venue. Ils étaient venus négocier l’exclusion de la Main Noire de la cité de Saïsha, et donc des vampires par la même occasion. Elle ignorait cependant comment ils s’y prendraient. Peut-être proposeraient-ils de s’occuper de la sécurité de la ville, en en profitant pour la rendre sélective. Il se pourrait également qu’ils menacent purement et simplement la Confrérie de Saïsha de mettre à mal l’ordre fragile que les gardemages ont mis des siècles à instaurer. Non, ils savent que la cité fait un rempart efficace contre les Démons, mais il est possible qu’ils aient des informations avec lesquelles ils feraient chanter les Haut-Druides. En attendant, elle restait ambassadrice et devait -comme le veut la coutume- aller saluer la délégation et s’y présenter. Son visage conservait un calme olympien tandis que son cerveau fonctionnait à toute vitesse. Le seul signe indiquant qu’elle n’avait pas (encore) le contrôle de la situation était que ses yeux regardaient par terre, l’air ennuyé, chose qui ne survient jamais normalement.
Elle congédia le messager d’un signe de la main avec un petit hochement de tête en guise de remerciement, mouvement certes peu éloquent mais elle n’avait pas vraiment envie d’être aimable aujourd’hui. Elle se retourna et fixa intensément les yeux de Far’Téo, son collègue de gauche un instant, puis ceux de Guer’Vari, celui de droite, avant de leur ordonner d’une voix qu’elle aurait voulu moins sèche :
« Suivez-moi ».
Elle encra à nouveau son regard dans celui de Far’Téo, et y devina l’indécision et le doute.
« Rassurez-vous, nous sommes en territoire neutre, nous ne risquons rien des chevaliers des cinq joyaux ici. Allons leur montrer que les vampires sont toujours là, et qu’ils ont intérêt à ne pas nous oublier. »
Laissant osciller son regard entre les deux, elle reprit son air de petite fille et sourit innocemment, ce qui pouvait presque faire oublier les batailles qu’elle avait mené, les soldats qu’elle avait tué et les souffrances qu’elle avait enduré. Non, décidemment, ce sourire ne sonnait pas faux, même si on connaissait ses états de services. Prenant sa voix de gamine, elle dit d’un air jovial : « On y va ? »
C’est en gambadant qu’elle sortit de l’ambassade de la Confrérie Vampirique, flanquée de ses deux collègues richement vêtus. Avec sa peau et sa robe blanche, elle donnait l’impression d’une petite flammèche joyeuse, ainsi éclairée par le soleil couchant, contrastant avec ses acolytes habillés de sombres manteaux cousus d’argent, au teint grisâtre et aux cheveux noirs (longs pour Far’Téo et cours pour Guer’Vari). Ils se mirent alors en marche vers le campement des Cinq Joyaux.